L’Autorité de la concurrence a publié le 27 mai dernier un communiqué de presse relatif aux orientations informelles qu’elle peut donner aux entreprises qui s’interrogent sur la compatibilité de leurs projets, poursuivant un objectif de développement durable, avec les règles de concurrence.
Pour rappel, le développement durable est défini par les Nations unies comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Il repose sur trois piliers : un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable. Les considérations de développement durable recouvrent, notamment, les questions de lutte contre le changement climatique, de préservation des ressources naturelles, de lutte contre la perte de biodiversité, de respect des droits humains, de garantie d’un revenu équitable, de garantie d’une alimentation saine, ou encore d’amélioration du bien-être animal.
Ainsi que le relève l’Autorité de la concurrence, « les questions de développement durable prennent désormais une place grandissante en matière contentieuse, consultative et dans le cadre du contrôle des concentrations avec, en particulier, l’examen de nouveaux marchés. Elles émergent également dans l’accompagnement qu’offre l’Autorité dans le cadre de sa politique de ‟porte ouverte” permettant aux acteurs engagés dans la transition de venir la consulter en amont sur leurs projets ».
Selon l’Autorité de la concurrence, le droit de la concurrence et le développement durable sont liés dans la mesure « où, en protégeant le processus concurrentiel, le droit de la concurrence protège et promeut non seulement le bien-être du consommateur, qui s’exprime de plus en plus vers des produits durables, mais également les innovations durables. Plus directement encore, le droit de la concurrence encadre les initiatives envisagées par les acteurs économiques en matière de développement durable. Or ces initiatives peuvent, dans certains cas, potentiellement contredire le droit de la concurrence ».
Ainsi, l’Autorité de la concurrence peut contribuer au développement durable en protégeant le processus concurrentiel, qui est une source d’innovation, d’augmentation de la qualité et de la diversité des produits et services, et d’utilisation efficace des ressources.
À titre d’exemple, l’avis 23-A-18 de l’Autorité relatif au secteur des transports terrestres de personnes reconnaît la contribution de la concurrence sur ces marchés à l’atteinte des objectifs de développement durable en facilitant le report modal vers des transports moins carbonés et en rendant possible la recherche d’un mieux-disant environnemental dans les appels d’offres des autorités organisatrices.
Par ailleurs, note l’Autorité de la concurrence, l’introduction de critères environnementaux dans les appels d’offres lancés par les autorités organisatrices de mobilité peut inciter les acteurs à redoubler d’innovation. Ainsi, la région Hauts-de-France a retenu, dans le cadre d’un appel d’offres, un transporteur qui proposait une offre ambitieuse sur le plan écologique (80 % de la flotte verdie). D’ailleurs, à partir du 23 août 2026, il deviendra obligatoire d’inclure au moins un critère environnemental dans les critères d’attribution des marchés publics.
Au niveau européen, les lignes directrices sur les accords entre concurrents comportent désormais un chapitre consacré à l’évaluation des accords poursuivant des objectifs de durabilité. Elles clarifient ainsi dans quels cas les entreprises peuvent licitement coopérer avec des concurrents, y compris, le cas échéant, en bénéficiant d’une exemption individuelle pour les situations les plus complexes. Le texte accorde, en particulier, une attention particulière aux accords qui fixent des normes de durabilité, c’est-à-dire des standards, dans la mesure où cela devrait être en pratique la forme de coopération la plus fréquemment retenue pour réaliser les objectifs de durabilité.
Selon la Commission européenne, tous les accords de durabilité entre concurrents n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Ainsi, lorsque ces accords n’ont pas d’incidences négatives sur les paramètres de la concurrence – tels que le prix, la quantité, la qualité, le choix ou l’innovation – ils ne sont pas à même de soulever des problèmes de droit de la concurrence.
Quoi qu’il en soit, souligne l’Autorité de la concurrence, « les entreprises peuvent souhaiter échanger avec l’Autorité préalablement à la mise en œuvre d’un projet poursuivant des objectifs de développement durable dont la compatibilité avec les règles de concurrence serait particulièrement délicate à analyser ».
Dans ce contexte, elle invite les entreprises qui souhaitent développer des projets poursuivant un objectif de développement durable à soumettre ces derniers au rapporteur général qui pourra formuler des orientations informelles quant à leur compatibilité ou non avec le droit de la concurrence.
Dans son communiqué, l’Autorité précise que le projet doit être à un stade d’avancement permettant son examen dans le cadre d’une telle demande : les projets encore à un stade purement hypothétique et ceux déjà mis en œuvre ne sont donc pas concernés.
En outre, le projet doit poursuivre un ou des objectifs de développement durable, tels par exemple la lutte contre le changement climatique, la préservation des ressources naturelles, la réduction de la pollution, la garantie d’un revenu équitable ou encore la préservation du bien-être animal.
De plus, le projet doit avoir potentiellement un impact sur tout ou partie du territoire de la France métropolitaine et des départements et régions d’outre-mer.
La demande doit porter sur un projet soulevant une question relevant du droit de la concurrence, à laquelle les demandeurs ou leur conseil ne peuvent répondre aisément en application du principe d’autoévaluation.
Par ailleurs, une demande d’orientation informelle doit contenir notamment les informations et documents suivants :
– le nom et les coordonnées des demandeurs, ainsi qu’un point de contact identifié pour les besoins du traitement de la demande ;
– une brève description de leurs activités ;
– les informations économiques pertinentes telles que le ou les secteurs concernés, les principaux concurrents et/ou les autres acteurs présents sur le ou les secteurs concernés, le ou les produits ou services concernés ;
– une description du projet, y compris son calendrier, ses modalités de mise en œuvre, les objectifs de développement durable poursuivis et la manière dont le projet y contribue ;
– l’autoévaluation qui est faite du projet au regard des règles de la concurrence ou par un régulateur sectoriel ;
Par la suite, le rapporteur général doit informer les demandeurs, dans un délai maximal d’un mois, de ce qu’il entend leur fournir ou non une orientation informelle, au cas d’espèce.
Lorsqu’il considère que le projet envisagé apparaît compatible avec les règles de concurrence, la lettre d’orientation informelle devra indiquer que, si ce projet devait se concrétiser dans les conditions exposées, il n’y aurait pas lieu d’ouvrir une enquête ni de proposer une autosaisine de l’Autorité.
Le cas échéant, la lettre d’orientation informelle pourra préciser les conditions ou ajustements sous réserve desquels le projet envisagé apparaîtrait compatible avec les règles de concurrence.
Si le rapporteur général considère que le projet envisagé apparaît incompatible avec les règles de concurrence, la lettre d’orientation informelle l’indiquera et invitera les demandeurs à ne pas le mettre en œuvre en l’état.
Pour conclure, on rappellera que l’Autorité agit aussi sur le terrain contentieux, en mettant l’accent sur la détection des pratiques anticoncurrentielles pouvant nuire au développement durable. Ainsi, par exemple, l’Autorité de la concurrence a sanctionné trois organismes professionnels de conserveurs, la FIAC, l’ADEPALE et l’ANIA et le syndicat des fabricants de boîtes, le SNFBM, pour avoir mis en œuvre une stratégie collective visant à empêcher les industriels du secteur de se faire concurrence sur la question de la présence ou non de bisphénol A dans les contenants alimentaires (conserves, canettes, etc.).Le montant cumulé des sanctions atteint près de 20 millions d’euros (Décision 23-D-15 du 29 décembre 2023).